pour les nuls

À l’attention de cette clique ecclésiastique qui lit sa Bible comme un musulman lit son Coran.

Et à l’attention des autruches savantes qui cachent l’immortalité de la conscience individuelle derrière l’atome et le vide.

La divinité du Christ

Prélude au « Qui dites-vous que je suis ? »

Que Dieu se soit fait homme est un fait minime
car l’incarnation est partout fréquente chez les dieux et les déesses.
Mais le Christ pécha contre eux en osant donner la divinité.

par Ivsan Otets

I – Introduction

Les incarnations et les descentes des dieux ainsi que leurs métamorphoses étaient depuis des siècles très répandues lorsque le « dieu fait chair » chrétien se manifesta à Jérusalem. Le christianisme naquit au milieu d’un monde où les hommes ne s’offusquaient pas de la venue d’une divinité parmi eux. Tout au contraire. Ils aimaient cela ! Il est donc particulièrement étrange que la théologie ecclésiastique qualifia d’incrédule, d’hérétique et même de démoniaque quiconque rejetait le postulat du « Dieu fait homme ». Étrange encore que l’Église, en essayant de produire des preuves « savantes », fit de la divinité du Christ tout un pataquès et un galimatias absolument irrespirable. La chose est très étonnante. C’est même totalement invraisemblable et ahurissant. Car le monde païen était déjà convaincu ! Il était inutile de se ruer ainsi sur son dos avec le fouet et le bâton.

Comment s’explique une telle incohérence ?

Par le Judaïsme. En effet, quelque temps avant le christianisme un malheureux nœud s’était formé là-bas qui entraina un séisme théologique. Le gotha divin ne s’en remit d’ailleurs jamais : les dieux, d’un commun accord, invoquant le Sinaï et leur unification à l’Un-Yahvé, avaient soudainement commencé à déclarer illégales leurs habituelles descentes ici-bas ! Ils interdirent même toute représentation de l’au-delà. Fini leur va-et-vient. Un immense et redoutable mur fut construit pour séparer les hommes des dieux ! Or, Jésus de Nazareth est apparu au sein de cette particularité théologique, en plein milieu de cette culture et de ce fait religieux essentiellement judaïque. Aussi est-il impossible de parler de sa divinité sans dérouler un minimum la dogmatique de cette religion.

II - Le judaïsme a la même démarche que le bouddhisme. Tous deux ont pour but de dépersonnaliser et de déshumaniser le divin !

Vous me répondrez que l’AT regorge d’anthropomorphisme et d’anthropopathie. C’est vrai. Et alors ? Désincarner les dieux ne se fait pas en un siècle ! Et même aujourd’hui le processus n’est achevé que pour les plus pointus. Le judaïsme se développa donc parmi des croyances pour lesquelles les divinités étaient abondamment humanisées et ne scandalisaient pas les hommes en se présentant sur terre en leur présence. Or, c’est précisément contre cela que lutta petit à petit et férocement l’élaboration du monothéisme sinaïtique ! Contre cette perception-là que les hommes avaient du divin. Elle émanait pour les juifs d’une idée idolâtre de la spiritualité qui offensait le divin car elle osait le matérialiser.

Que fit le judaïsme ? Il unit d’abord les dieux en Un-dieu. Puis il le sacralisa à outrance. Et enfin, il le sanctifia jusqu’au dernier degré. C’est-à-dire qu’il le confondit totalement avec l’immatériel, avec la divine torah : la Loi. Avant le Création, à l’époque du néant, du « rien », la torah était déjà là explique le Talmud. La raison-logos – qui est la torah – préexiste à tout. Elle est au commencement. Elle est l’essence du divin. Son visage caché. Sa quintessence.


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Que faire dès lors du concept « dieu » vu comme être particulier ? Il sera lui aussi « au commencement » mais plutôt comme un tâcheron angélique. Il sera une sorte de super-ingénieur-spirite veillant à la bonne exécution du code de la torah auquel il est lui-même soumis. Car c’est la Loi qui est sainte, immortelle et omnisciente, et c’est par la toute-puissance de la Loi que le tohu-bohu du chaos a été vaincu. Une chose est pourtant impossible à la Loi : se faire chair, s’incarner. La Loi est la pure information. La pure vérité. Éventuellement, une force de nature angélique, c’est-à-dire un élohim issu de l’Un-Yahvé pourra descendre et avoir mission de porter en action l’autorité du code-parole, du verbe torahïque, mais la Loi-thora elle-même, dans son essence – ne peut descendre ! Elle demeure dans sa tour de diamant où l’entourent ses forces spirites chantant sa crainte et sa gloire.

Le christianisme formula la divinité du Christ par et à travers cette idéologie. En regardant avec les lentilles de cette dogmatique-là. L’Église brisa donc elle aussi les antiques incarnations des dieux, eux qui participaient sans complexes aux festivités humaines, et elle s’équipa du système optique de la Torah. C’est-à-dire que la théologie chrétienne lut Moïse et les prophètes comme l’exégèse rabbinique et le Temple davidique les lisaient : en soumettant Dieu aux impératifs de la torah-Logos. L’Église fut donc elle aussi mise au pied du mur : la divinité ne peut être représentée et ne peut absolument pas se faire chair ! Le problème était énorme. Il fallait, comme les juifs, condamner l’antique incarnation du divin au nom de la Loi divine, et pourtant la maintenir par un « dieu fait chair » en la personne du Nazaréen.

III - L’Ecclésia naissante releva ce défi. Tout simplement en « réformant-assouplissant » la théologie de la Loi juive.

Le judaïsme seul se présente de la façon suivante : La Torah est l’écoulement de la vie divine ; mais cette vie est donnée à l’homme sous deux conditions : 1. Le pécheur doit exécuter la peine complète réclamée par la justice torahïque pour ses péchés afin qu’il soit déclaré pur. 2. Il faut ensuite pratiquer sur ce pécheur purifié une modification de sa nature afin qu’il lui soit impossible de se souiller de nouveau par le péché. — Ainsi donc, innocenter ou pardonner le coupable ne suffit pas ! Il faut graver le code torahïque dans son cœur disait les prophètes. Il faut injecter un sérum divin dans la nature humaine pour la métamorphoser. C’est une re-création ou « refabrication ». Une reprogrammation en définitive. Une réécriture de l’individu dans ce qu’il a de plus intime pour en faire, non plus un sujet libre, mais une mécanique de haute précision absolument obéissante à la Loi.

Le christianisme reprend à son compte cette double exigence. Mais il va la réformer et l’assouplir par le pardon. Il va dire : Seul le sang de Dieu pourvoit à cette double exigence de la Loi ; et c’est la seule solution. C’est ainsi que les premiers chrétiens, tous issus du judaïsme, insistèrent jusqu’au bout sur la divinité du Christ. Il leur était crucial que son sang soit celui du divin fait chair, afin que sa fonction expiatoire soit validée par la Torah et qu’ainsi puisse s’enclencher le processus judiciaire : effacement de la dette & réécriture de l’individu. Récapitulons : 1. Le poids du sang divin, pur, réglait le problème de Droit, là-haut, parce que sa valeur infinie pouvait même payer les dettes excessives. C’est le pardon. 2. Il ouvrait à un baptême métaphysique, ici-bas, une onction de l’Esprit qui devait modifier la conscience jusqu’à fabriquer des êtres-obéissant, des sortes de robots-torah : les saints, les enfants de Dieu et de l’Église.

L’argumentation fit mouche. Pourquoi ? Parce qu’elle semblait sortir la Torah des deux impasses suivantes sur lesquelles elle butait :

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1. Le paiement du péché demandé par la Loi exigeait la mort de l’homme. La dette était donc éternelle puisque la mort ne peut être rassasiée. 2. La purification d’un individu était impossible au cours d’une vie. Raison pour laquelle le judaïsme finit plus tard par adopter l’idéologie des réincarnations. En revanche, le christianisme naissant comblait ces manques grâce à l’Incarnation : 1. la résurrection prouvait qu’une dette éternelle pouvait être payée. Et c’est le pardon du ressuscité qui payait cette dette. 2. La promesse de l’Esprit ici-bas ouvrait au miracle d’une transformation fondamentale de l’être, et le pardon devait combler là-bas ce qui manquerait. Enfin cette grâce du pardon rendait l’inhumaine exigence de sainteté enfin accessible.

IV - Les résultats furent néanmoins totalement différents sur les deux rives : d’une part, celle du judaïsme, et d’autre part, celle du monde gréco-romain et des autres populations dites païennes ou incirconcises.

Côté païens. L’incarnation divine ne fut pas l’obstacle majeur tant la chose était habituelle dans les mythes. Le sacrifice du dieu fut par contre plus difficile à prêcher, bien que la résurrection le compensât. L’obéissance à la Loi fut en revanche très difficile. Car si le « truc » métaphysique du baptême et de la nouvelle naissance était en théorie idéal, il s’avérait en réalité n’être qu’une discipline de vie très ardue à acquérir. Certes, l’engouement de la conversion-repentance aidait la conscience de l’individu à déclencher un nouvel ordre de vie, mais atteindre la vertu torahïque restait un joug de fer inaccessible. Les notions de grâce et de pardon devenaient vite impuissantes face aux faiblesses de la chair.

Côté Juifs. Ce fut l’inverse. La conscience des fidèles était déjà modelée par la Loi et chacun était familier du devoir d’obéissance et de morale dès son enfance. Et puisqu’il était assoupli suite au sacrifice divin et au pardon, il était séduisant pour un juif d’opter pour cette version « messianique » moins rigide de la Loi. Les Juifs eurent par contre d’énormes difficultés avec l’Incarnation. Ils devaient fondamentalement réformer la Loi en permettant de nouveau la matérialisation du divin, et en plus on leur proposait soudain une démarche très alambiquée : la Torah avait envoyé une puissance trinitaire se sacrifier pour ensuite répandre un charisme d’obéissance à la morale censé être plus efficace que le protocole rabbinique des commandements !

Le juif traditionnel abandonna assez vite. Il revint à son réalisme moral, intellectuel et politique, à cette énergie difficile mais efficace de la Loi et des Sciences. Le paganisme et le monde gréco-romain embrassa quant à lui cette Loi torahïque juive, mais dans sa version réformée chrétienne : à travers l’Ecclésia. Celle-ci avait le rôle d’adoucir le joug de la Torah par la Grâce. Le laïc et fidèle de l’Église se vit remettre une sorte de torah-light, ces « lois de Noé pour les Nations » dont parle déjà le Talmud. Cet amalgame des deux, la « torah-légère plus la torah-classique », c’est l’Occident.

V - Nous voici dès lors avec 3 façons de conclure puisque nous avons trois différentes théologies de la divinité dont on peut revêtir le Messie, qui en grec se dit « Christos ».

La première. La divinité du Messie de type juif. Elle est une émanation de la divine Torah, ce que très exactement le monde grec appelle le logos, la Raison. Cette « divinité » a mué avec le temps. Nous sommes passés de l’homme-providence, héros et sage, à un processus politico-technique pointu. Ce processus est celui de la dialectique du savoir dans l’Histoire dont parle le mythe de l’Évolution. Il purifie et améliore quiconque aime les fruits des mystères de la scientia : la raison, la loi, le logos, la torah, la connaissance, etc. C’est-à- dire que le messie ici ne viendra pas, mais c’est l’homme augmenté par la Raison qui lui-même procède à son avènement. Il faut pratiquer, petit à petit, l’onction de son énergie sur les civilisations : mort des idoles, monothéisme unificateur, mort du divin par les Lumières, Socialisme, Globalisme, Technocratie, Transparence unificatrice, Augmentation de l’homme.

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Et enfin le Posthumain qui finit la génération et éteint l’espèce.

La seconde. La divinité du Messie de type ecclésiastique. Je viens de montrer que ce Christ-là est judéo-ecclésiastique parce qu’il s’est construit en parallèle de la synagogue. C’est-à-dire entre Moïse et les prophètes de la Loi. Il est donc une Loi avec une jambe de bois parce qu’il oblige la Loi à une incarnation du divin : il ne permet pas à la Loi d’atteindre son plein épanouissement. Mais il est pareillement un Dieu fait-homme avec une jambe de bois parce qu’il oblige Dieu à se soumettre à une Loi qui le domine, il lui interdit d’être pleinement ce Dieu insoumis pour qui la Loi n’a ni autorité ni fonction éternelle. Ce Christ-là est un entre-deux. Un carrefour. Une sorte de mise en attente. Pour ceux qui confessent la divinité du Christ de cette manière, il est difficile de savoir à qui ils appartiennent véritablement. Quelle route prendraient-ils s’ils étaient mis au pied du mur ? Deviendraient-ils définitivement des fidèles du logos de la Raison, cette future Ecclésia qui oublie ses origines et que le Christ va oublier, que le Christ va « vomir » nous dit l’Apocalypse ? Ou bien deviendraient-ils définitivement des briseurs de Loi, libérant enfin le fils de l’homme de Moïse et des prophètes de la torah ? Sortiraient-ils de ces ecclésias que garde la Loi pour suivre le Christ dans les pâturages, là où sa divinité réelle commence à sourdre ?

Cette dernière divinité du Christ est akklésiastique, irréligieuse et adogmatique. Elle esquisse une divinité de l’homme-Dieu qui s’éloigne plus de la torah-Raison que de la pratique des antiques dieux. Il se peut même que les Anciens aient créé leurs mythes en voyant de loin, de manière très trouble, qu’un jour Dieu allait réellement se faire homme. Les métamorphoses de leurs dieux côtoyant ici-bas les hommes étaient souvent ubuesques et superstitieuses, mais elles avaient au moins pour elles de ne pas systématiquement trembler devant la Loi et de ne pas idolâtrer les vérités éternelles. Elles avaient cependant en commun avec les lois de craindre la liberté humaine. Ce sont ces différentes limites que le Christ est venu franchir. Car sa divinité, et plus précisément, son « Qui dites-vous que je suis ? » parle de la rupture de ces deux digues que les enfers ont bâties : 1. Celle des lois torahïques, de cette Raison que l’homme divinise. 2. Et celle de l’entrave à notre liberté que les lois et les dieux veulent durcir car ils ne nous trouvent pas dignes d’être libres.

À vous de choisir quelle divinité du Christ vous trouvez désormais acceptable. Aimez-vous le Christ hébraïque, cet expiateur au service de la Loi-dieu ? Cette divinité dont le projet est de faire de l’homme un être-loi absolument incapable de casser les murs des lois éternelles. Ou bien aimez-vous ce Fils de l’homme, lui qui scandalise la logique et qui rend fou toutes les métaphysiques. Pensez-vous que l’homme soit appelé à devenir semblable à ce Fils de l’homme, qu’il n’est accompli que lorsqu’il peut lui aussi tordre et maîtriser les lois selon son bon vouloir et en toute insoumission ? Et ne l’entendez-vous pas qui vous dit : « Je suis devenu homme, mais cela n’est pas suffisant. Il faut que je fasse de toi un dieu – maître de la vie et de la mort. » Car l’être humain n’est pas un être de loi et de perfection, mais un être divin en devenir. La divinité du Christ nous parle de cet accomplissement-là et si elle ne peut nous en parler c’est que Dieu ne s’est pas fait homme, qu’il s’est fait un homme-faux, une sorte de petit monstre, de petit ange obéissant.




LA DIVINITÉ DU CHRIST | Deux mots sur la divinité du Christ : 31mn · par Ivsan & Dianitsa

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