pour les nuls

À l’attention de cette clique ecclésiastique qui lit sa Bible comme un musulman lit son Coran.

Et à l’attention des autruches savantes qui cachent l’immortalité de la conscience individuelle derrière l’atome et le vide.

La prédestination

Toutes les religions proposent un destin logique,
et l’arbitraire propose un destin illogique, un non-destin.
Le premier s’appelle Prédestination, le second s’appelle Liberté.

par Ivsan Otets

La théologie de la prédestination par laquelle Dieu décrète l’élection de certains individus est une table si étrange qu’on y voit trinquer joyeusement ensemble Saint Augustin et Luther. C’est la table des réconciliations miraculeuses. Alessandro Farnese (Paul III) et Jean Calvin y festoient en véritables frères.

Je respecte sincèrement Saint Augustin et Luther. Et je ne doute pas de l’authenticité de leur foi. Toutefois, et ce n’est pas une attaque contre leur personne, j’affirme que la théologie de la prédestination et de l’élection servent surtout à fanfaronner. J’ai moi-même beaucoup aimé et intensément cru à cette doctrine. La « profondeur de son mystère » m’avait même saisi au point de produire en moi une sorte de béatitude métaphysique. Comme Augustin et Luther je pensais alors « toucher la robe du Seigneur ». Cela dura un certain nombre d’années. Puis le choc passa. Et je dois reconnaître aujourd’hui que la doctrine de la prédestination divine est surtout de la gonflette théologique, un spectacle de culturisme biblique. En effet, la majorité de ses dévoués prétendent la défendre alors qu’ils en trahissent l’essence. C’est-à-dire que les grands théologiens catholiques ou protestants qui ont été ses défenseurs acharnés ont aussi abondamment prêché la Morale et les Enfers. La Morale était en vérité les protéines et les Enfers les acides aminés par lesquels ils musclaient leur dogme de l’Élection-prédestinée. Ils élevèrent ainsi la Science du bien et du mal à un paroxysme métaphysique où notre liberté n’a plus de voix. Et ils appelèrent cela la « prédestination des élus ». Ils aidèrent le diable à développer ses muscles.

Parce qu’on suppose généralement qu’il existe une science divine qui perce le moindre instant du temps – passé, présent et à venir – et par conséquent sonde le moindre recoin d’une psyché non encore née, et perçoit la moindre vibration d’une conscience encore inexistante, on finit par défendre l’idée d’un créateur-écrivain-savant, l’idée d’un Dieu qui aurait scénarisé à l’avance l’itinéraire de chaque individu : qui aurait écrit son destin. Avant toute naissance, untel est élu au Salut et un autre à l’Enfer. Dieu a vu le film. Il sait qui nous sommes. Il sait ce que nous voulons. Il sait ce que sera la réalité dans laquelle nous vivrons. Aussi se doit-il d’intervenir secrètement afin que le canevas de l’histoire ait une juste-Fin, une « happy end », une finalité qui judiciairement parlant soit incontestable. C’est pour ce Dieu-là une nécessité morale absolue.

Imaginez-vous quelques instants dans cette même position d’omniscience. Ne pensez-vous pas que vous aussi, avec un tel savoir, vous iriez « magouiller » dans les urnes avant la clôture du vote ? Pas question de laisser le diable être élu ! Pas question que ce diable entre aux champs Élysées, même si tout le monde le voit comme le messie et remplit son urne. Il faut, du côté de l’omniscient, saboter les urnes. Mais on fera croire aux profanes que le vote s’est fait dans les règles : la liberté a été respectée et il n’y a pas eu de prédestination. Ce n’est pas de la tricherie, voyons ! C’est l’omniscience et la prescience divine mises au service de la Justice. Parce que Dieu connaît les fins secrètes de toutes choses, qui pour nous restent inconnues. Ouf ! On l’a échappé belle.

C’est ainsi que la prédestination devient un totalitarisme, un tyran attaquant en catimini notre libre arbitre qu’il exècre. C’est pourquoi la prédestination est parfaitement adaptée au phénomène angélique, mécanique et scientifique : il y a Une-volonté, Une-vérité, mais il n’y a pas Des-volontés, Des-vérités, c’est-à-dire de la Liberté – de l’Homme.

La théologie de la prédestination élective est par conséquent une technique pour parler de la Toute-Puissance divine tout en masquant qu’elle doit aboutir à l’extinction des libertés individuelles. Car elle est en somme un discours de la Raison qui cherche à résoudre ce qui pour elle est une énigme insoluble, ce qui pour elle est un événement impossible à anticiper, un Enfer : des relations libres qui ne connaissent pas de lois ! Car il ne peut y avoir pour la Raison qu’une relation à volonté unique. En effet, le logos considère qu’une « élection » est une « sélection ». La Nature et le barbare sélectionnent par la force. Puis vient l’homme civilisé. Il sélectionne par l’intelligence. Le barbare est vaincu par le civilisé comme la force tombe devant la raison. Imaginez désormais quelque chose de plus grand : l’omniscience. Vous obtiendrez alors l’étape suivante. Le civilisé sera vaincu par l’omniscient et la science tombera devant la prescience et son Destin. En pratique, le résultat est simplement un monde parfait où les contingences de la liberté n’existent plus, où tout et tous suivent l’énergie d’une volonté-Unique.

Ainsi que je le disais, tout cela n’est que de la gonflette théologique, de la musculation avec haltères bibliques. C’est la Force qui petit à petit monte en puissance par la logique et l’intelligence, puis, dans son ascension, fusionne enfin avec la Raison elle-même. Cette dernière accède alors à un stade mystico-métaphysique qu’on appelle pompeusement la prédestination élective.



Pourquoi est-il si difficile de trouver un théologien qui se contenterait de dire que la « prédestination » est tout simplement un vocable maladroit et même presque impropre pour dire que « Dieu est libre » ? Un théologien qui par conséquent finirait, lui aussi, par mettre la cognée à la racine de la raison et de la morale qui la protège. Et pourquoi, au lieu de cela, les théologiens ont-ils fait tout un pataquès de la Prédestination et de l’Élection ?

Voici. Il insupporte aux théologiens de concevoir une liberté telle qu’elle soit insoumise au bien et mal. Il est même impérieux pour eux de jeter un pont entre la doctrine du bien et du mal et l’omniscience divine. De là ce labyrinthe cérébral qu’est la prédestination divine. De là cette victoire, ce mariage absolument tordu, artificiel : notre libre-arbitre copule avec le concept de bien-et-mal. Il n’y a plus contradiction : Alléluia ! C’est-à-dire que le penseur finit par confesser qu’il existe une sorte de nature karmique de l’individu. Que nous serions déterminés secrètement au Bien, ou, au Mal. Que nous aurions une nature secrètement pré-déterminée au Bien, ou, au Mal. La théologie est bien sûr ici littéralement en train de formuler une philosophie du destin, un fatum : la détermination historique de chaque homme, que Dieu seul peut discerner dans sa prescience. L’hindouiste reliera cette prédestination au processus des réincarnations, et le chrétien, à une pré-cognition divinatoire extraordinaire qu’offre la Prescience divine. Tel chrétien est élu au salut parce que la Justice divine considère qu’il fait partie du camp du Bien, de même que tel hindouiste est prêt pour atteindre l’éveil lors de sa prochaine incarnation parce qu’il aura précédemment choisi le camp du Bien. L’un et l’autre sont placés dans la bonne colonne et sur la bonne ligne dans les tableaux de l’ingénierie divine où se structure le Bien contre le Mal.

Je sais fort bien que certains théologiens de la Prédestination sont particulièrement lyriques et exaltés. Ils semblent même nous transporter sur des monts extraordinaires où ne règnent plus le bien et le mal mais où seul l’arbitraire de Dieu souffle. Hélas. Ils nous jouent du pipeau. Regardez leur vie. Examinez le reste de leur doctrine. Les montagnes de l’Himalaya disparaissent aussitôt. Ils se sont enivrés. Ils vous ont enivrés. Puis. Plus rien ! Ils reviennent, et nous ramènent avec eux, à la Loi, au Corpus christi, et aux Enfers. Que sont-ils en définitive ? Des voleurs ? Des enfants ? Je ne sais. Je sais seulement qu’ils ont trouvé des braises mais qu’ils n’ont pu les garder dans la paume de leurs mains ; qu’ils ont gravi des monts et que, n’ayant pas d’ailes pour de là-haut s’envoler, ils sont redescendus en essayant de faire vivre une pensée qui ici-bas étouffe et s’infecte très vite. C’est-à-dire qu’une des plus merveilleuses pensées bibliques s’est écrasée au sol avec eux pour devenir entre leurs mains la plus exécrable théorie qui soit. Un seau de fumier.



Soit donc, je ne peux que souhaiter au chrétien d’apercevoir au-delà. Au-delà du concept alambiqué de la « prédestination élective » traditionnelle. Au-delà de cette doctrine que l’on trouve gravée comme onzième commandement par des Moïse qui ont bu la cène mais qui n’ont jamais entendu leur coq. Je souhaite au chrétien, mon frère, de voir cette liberté-de-Dieu par laquelle il ne se justifie jamais devant le bien et le mal, le vrai et le faux, le normal et l’anormal et autres notions duelles absolues. Je le lui souhaite sincèrement. Mais je lui souhaite surtout de s’y maintenir. De ne pas lâcher. De ne pas redescendre. C’est-à-dire d’avoir ensuite la force d’attaquer l’arbre de la connaissance. Sinon, mieux aurait valu pour lui n’avoir jamais ouvert une telle porte.

En effet, c’est là-bas, derrière cette porte de la vie, me semble-t-il, que Dieu est libre de m’aimer sans me comprendre, de m’aimer parce que je suis différent, anormal – de m’aimer tel que je suis ! Vous êtes choqué d’imaginer que Dieu puisse ne pas vous comprendre ? Soit. Cherchez donc une divinité qui n’aime que ce qu’elle comprend, que ce qui est conforme à elle-même – que ce qui est éthique par exemple, ce qui satisfait aux normes de la raison, de sa raison, comme si, chez lui, la raison était reine. Une divinité qui vous offrirait à manger des fruits non biologiques comme ceux de la science du bien et du mal : des puces informatiques, des vaccins technologiques et des ondes électromagnétiques.

Pour moi, je continuerai à croire en ce Dieu qui aime ce qui est issu de sa chair, de son sang, de son cœur, c’est-à-dire un Dieu qui aime ce qui est fou, anormal et incompréhensible. Ce qui est Libre. Vous croyez comme moi que Dieu devient un Père pour ceux qu’il a posés sur son cœur et qu’il a gravés sur ses mains ? Qu’il les aime de façon « différente » parce qu’ils sont, comme lui – Libres ? Dès lors, comment pourriez-vous dire que dans ce monde-là mon prochain est libre et qu’en même temps il m’est absolument transparent ? Assurément, je ne veux pas de cela. Je veux que mon prochain soit libre comme je le suis : de façon incompréhensible. Cela n’a aucune importance, puisque nous nous aimons. Voyons. Ne savez-vous pas que Dieu ne craint pas d’assumer le don de Sa liberté ? Ne savez-vous pas qu’il ne craint pas de vous rendre libre au point que vous ayez vos secrets – même pour Lui ! « Même si je ne te comprends pas, vous dit-Il, puisque je t’ai gravé en moi, et sur mon cœur, la communion se fera bien un jour. Tu es Élu. »

Le propre de la prédestination, ou plutôt, de la prédestination réussie, c’est précisément quand Dieu ne comprend plus l’autre, quand la nature de son sang l’a réellement transformé de telle sorte qu’il a enfin reçu SA liberté : « J’ai vaincu, dit Dieu. Ou plutôt : tu as vaincu. Et plus exactement : nous avons vaincu. Je ne peux plus te lire ni t’écrire. J’ai tué en toi toute possibilité de destin, et je t’ai ressuscité en homme-Libre, en Fils de l’homme. » Vous me demanderez certainement quel type de relation, quel type de communion il est dès lors possible d’avoir au sein d’une telle liberté. Haha. Ne savez-vous pas que pour les consciences raisonnables que fabriquent les idéologies du bien et du mal, ces relations-là, les relations de l’Esprit sont classées dans la catégorie des maladies psychiatriques ? Parler de l’élection, c’est parler du monde des fous. Comment voulez-vous que je vous en parle si vous êtes rationnel ? Je ne le peux. Non plus que Dieu.


LA PRÉDESTINATION | Deux mots sur la prédestination : 33mn11s · par Ivsan & Dianitsa

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Le diable

Le diable existe tout autant qu’il n’existe pas.
Qu’est-ce qui est donc diabolique ?
C’est d’affirmer son existence ou son inexistence.

par Ivsan Otets

Le diable aime celui qui affirme son existence tout autant que celui qui proclame son inexistence. Il adore être applaudi de tous et être le centre de tout, mais il adore pareillement être haï, persécuté et pourchassé. Si enfin vous versez dans l’ignorance et le mépris à son égard, vous lui offrez le meilleur. Être caché est pour lui un nectar. C’est ainsi qu’on ne trouve aucun terrain où mettre mal à l’aise le diabolique de sorte qu’il s’enfuirait. On ne peut lui échapper. Ou, pour le dire autrement : à moins d’entrer en psychiatrie, on ne peut vivre sans confesser qu’une lutte réelle existe ici-bas entre le bien et le mal. En effet, l’un et l’autre appartenant au diabolique, ils se déguisent sans cesse en échangeant leurs vêtements ou en se dénudant pour devenir invisibles. C’est pourquoi le Monde est rempli de nigauds du diable, de cette clique de hâbleurs qui croient avoir débusqué la vérité entre les tissages de l’Histoire que les diables nous tricotent depuis des millénaires. Ils sont simplement hypnotisés par cet « être collectif appelé cherubim »* évoqué par la Genèse en fin de 3e chapitre, c’est-à-dire par l’historiographie qui s’actualise jour après jour et que le texte biblique compare à « l’épée du cherubim-collectif », à sa « flamme incandescente tourbillonnant sans cesse sur elle-même ».

Kafka avait donc vu finement lorsqu’il disait que « plus de diabolique qu'il n’y en a ici [il voulait dire sur terre], cela n’existe pas. » C’est-à-dire que le diable est absolument adapté à ce Monde puisque celui-ci lui appartient totalement. En comparaison, Dieu est, lui, totalement inadapté à ce Monde. À tel point que nous l’avons même entendu dire un jour à un politicien : « Ce Monde n’est pas le mien. Ce n’est pas mon royaume. Oui, ma réalité ne ressemble absolument pas à celle-ci. C’est pourquoi, ni moi ni les miens ne bougerons le petit doigt pour ce Monde. » (cf. Jn 1836)

Si cela pose d’énormes problèmes en terme de théologie chrétienne, c’est tout le contraire en ce qui concerne la théologie hébraïque, laquelle est un polythéisme se cachant derrière un faux monothéisme. L’éminent rabbin Léon Ashkénazi enseignait par exemple que : « la force du fonctionnement du monde, des lois de la Nature, c’est ça le satan ». Et il disait que c’est « par le biais des principes des lois de la nature », c’est-à-dire par le principe du satan, que « le Créateur juge l’histoire du monde ». Le satan, disait-il est « le maître du soupçon, un espion de Dieu qui est chargé de sonder le coeur et les reins des hommes. » Nous voici donc en présence d’un diable qui est le diable d’un dieu, et d’un dieu qui est le dieu d’un diable. Tous deux se sont entendu au sein du même gouvernement : l’un se charge du pouvoir législatif et l’autre du pouvoir exécutif.

À ce stade, nous sommes fichus puisque nous n’avons que les deux faces de la même pièce. D’un côté, du religieux. Des théologies psychorigides de type hébraïque, lesquelles naissent d’un fond scientifico-religieux propre à l’humain : l’arbre brut de la connaissance du bien et du mal, ses savoirs primaires, ses lois éternelles encore trop brûlantes pour être saisies. Le christianisme y a lui ajouté son édulcorant christique. Et de l’autre côté nous trouvons de l’athéisme. Nous trouvons un diable puriste, un « sachant », un pur scientifique qui se tient aux racines de ce même arbre, aux racines de la recherche, un surdoué qui hypnotise d’autant plus les siens en leur donnant une intelligence bouillante afin de saisir avec une haute finesse les arcanes de la réalité.

Pour celui qui veut échapper à ce diable-de-dieu, à ce dieu-du-diable, il ne lui reste que le Fils de l’homme. Il ne lui reste que l’homme-Dieu. Lui qui affirme ne rien faire pour ce Monde et ne même pas vouloir le juger. N’est-ce pas ahurissant ? Alors, assurément, vous me demanderez probablement ce que veut en vérité l’homme-Dieu, ou comment nous pouvons percevoir son activité, car alors, nous pourrions probablement mieux anticiper, mieux discerner où se trouve le mouvement de son antithèse – ce qui est « anti-christique » pour parler de manière plus religieuse.

Voyez-vous, j’hésite à en parler. Comprenez-moi. Plus l’homme-Dieu affirme sa volonté et plus il donne à son imitation de s’affiner. Voyez notamment comment est en train de n’exister, de plus en plus, siècles après siècles – qu’Un-seul-réel, qu’Un-seul-monde, qu’Un-seul-être. Comment tout devient Un. Comment tous-se-comprennent – enfin ! Comment tous sont connus, dévoilés, dénudés, et comment il n’y a bientôt plus d’inconnus. N’est-ce pas magnifique ? La paix règnera bientôt, avec l’amour ! Mais à quel prix ! Par le sacrifice de la relation, de l’autre, de son mystère, de Dieu. Car il n’y aura bientôt plus qu’Un-seul-individu. Or, « il n’est pas bon que l’homme soit seul. » (Gen. 218). Car seul est le nom du diabolique, et l’autre est le nom de Dieu.

* Le passage de Gen. 324 que j’utilise à propos de « l’être collectif appelé Cherubim » est une traduction d’Antoine Fabre d’Olivet, dans La cosmogonie de Moyse.


LE DIABLE | Deux mots sur le diable : 42mn25s · par Ivsan & Dianitsa

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Pour aller plus loin

›› L’amour du diable
›› Diabolique et incarnation
›› Le satan
›› Jugement et diabolique
›› Hallucination d’Ivan

L’enfer

Qu’il soit religieux, fantasque ou intelligent,
l’image de l’au-delà rend toujours gloire à une logique
que l’enfer ne connaît pas.

par Ivsan Otets

L’athée a bien sûr le droit de prétendre que tout cesse après la vie terrestre et qu’il n’y a ni enfer ni paradis. La réponse du non-croyant rejoint pourtant celles plus ou moins offensantes et aliénantes que les hommes et les religions ont fournies au cours des siècles à propos de l’au-delà. En effet, l’absence de jugements post mortem que le dogme athéiste a élaborée est une théorie encore plus outrageante que les autres puisqu’elle répond à la punition par un scénario qui valide l’impunité. Les lumières de la modernité optent pour un noir total où elles jettent tout le monde faute d’avoir trouvé mieux que les géhennes religieuses où sont écartés les nuisibles.

La méthode religieuse, qu’elle soit monothéiste, polythéiste, spirite ou je ne sais quoi de gnostique, ésotérique, mystagogique ou parapsychologique, est toujours la même : on transfère là-bas l’idée de justice qu’on a conçue ici-bas. Certains diront donc que l’enfer, c’est tout individu qui a eu l’audace d’exister, de s’incarner, de sortir des nirvanas incorporels de l’Un ; et d’autres diront que l’enfer est la désobéissance aux lois vertueuses de l’Un qui gardent l’accès à sa béatitude éternelle, etc. Bref, c’est toujours la liberté de l’Un-dividu face à l’autorité d’un dieu-Un qui pose problème et qui oblige les vertueux à fabriquer de l’enfer. C’est-à-dire que le Tout, avec ses vérités éternelles, a le droit d’ordonner, il a le droit d’être divin, tandis qu’on interdit cela au Particulier, à la personne. En religion et en mystique, l’enfer ce sont donc les « je suis » ; ces « chaque-un » qui veulent être un royaume divin, qui aspirent eux aussi à une liberté inconditionnée où rien n’est impossible ; ces « hommes-dieux » qui aimeraient un jour régner sur leur propre réalité. C’est inacceptable. Cette qualité ne peut appartenir qu’à Un-seul : le dieu, l’absolu, la loi, etc. Et tous les autres doivent lui obéir ou alors connaître l’enfer.

Alors, bien sûr, l’athée a fini par dire « merde ». Puis il a fondé ses propres lois de l’Un avec son propre système par lequel il a enfin botté en touche de la manière suivante : « Il n’y a là-bas ni punitions ni récompenses. C’est l’impunité pour tes crimes et c’est la dépossession de tes œuvres qui ne seront pas récompensées. Concentre-toi uniquement sur l’ici-et-maintenant. Car il n’y a rien d’autre. » L’athée est donc tombé dans le même piège qu’il condamnait. Il a transféré là-bas sa vision de la vérité qu’il a extirpée du terrestre. Il a lui aussi encensé sa loi du Tout, sa théorie de l’évolution, cette logique arrachée à la divine raison. C’est pourquoi le non-croyant est nettement plus radical. En effet, le Tout athéiste ne se soucie même plus de l’Individu. Il le nie. Il ne le jette ni en enfer, ni au paradis. Il ne le punit pas pour ses crimes. Il ne le récompense pas pour ses bonnes œuvres. Il efface son histoire ! Il lui retire, comme en religion, le temps à-venir, mais en plus, le temps passé : ses vertus ou ses infamies n’auront aucunes conséquences post mortem. Il est annihilé, broyé par le cycle cosmologique. Il appartient au néant. Il n’est plus.

Il semble, hélas, que l’athée soit assez proche de la vérité. Car s’il osait adjoindre à son idée le paramètre religieux qu’il a aboli, à savoir, l’immortalité de la conscience humaine, il verrait soudain les portes de l’enfer s’ouvrir ! Car l’enfer n’est certainement pas le transfert d’une logique terrestre en logique éternelle, mais simplement l’entrée dans un autre monde. Un monde où, en effet, il n’y a plus de justice, plus de dieux, plus de diables, plus de raison. Et un monde où il n’y a plus assez de réalité pour que le temps vienne se mouvoir. Le temps est mort. Il s’est figé dans chaque conscience, dans chaque histoire dont la suite est impossible parce que l’être n’est plus qu’une conscience désincarnée. Une conscience pure, absolument transparente, et qui découvre ainsi, sans fin, son histoire véritable, dans les moindres détails. Une histoire qui se ronge sur elle-même, telle un feu qui ne peut s’éteindre : dans une lecture immuable. Certainement, la néantisation athée serait là-bas une délivrance ; et le jugement religieux un espoir d’obtenir une grâce du tribunal divin.

Hélas, l’enfer n’est ni religieux, ni moral, ni athée, ni un cycle de la matière, ni une matrice de la raison. Il est la conscience, la conscience qui a refusé de se briser parce qu’elle a cru que sa morale la sauverait, ou que la matière l’abolirait, ou encore que la science l’anoblirait. Il reste dès lors cette dernière question : la conscience se brisera-t-elle là-bas ? Et ce faisant, lui donnera-t-on d’entrer dans le monde des « hommes-dieux » ?










L’ENFER | Deux mots sur l’enfer : 22mn40s · par Ivsan & Dianitsa

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Pour aller plus loin

›› À propos de l’enfer 1/2
›› À propos de l’enfer 2/2
›› Les jugements éternels
›› Au-delà



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